Expatriation, le voyage organisé

Article du Nouvel Economiste

Un salarié serein est un salarié efficace. La préparation psychologique et matérielle de la mission reste donc un investissement essentiel

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Mondialisation de l’économie oblige, la mobilité internationale des talents n’a jamais été aussi incontournable, qu’il s’agisse d’asseoir un marché déjà en place ou d’en conquérir de nouveaux. Mais dans un contexte qui évolue sous la double influence de la crise et du changement de profil de ces travailleurs de l’étranger, certaines données de l’expatriation évoluent – avantages financiers en baisse, flexibilité en hausse –, tandis que d’autres demeurent essentiels à la réussite de la mission. L’accompagnement du salarié et de sa famille, au niveau administratif et matériel, mais aussi culturel et psychologique, et ce avant, pendant et après la mission, est ainsi devenu une évidence pour assurer une prise de fonction fluide et rapide et un retour serein. La “todo list” de l’expatrié est impressionnante, et si certaines grandes entreprises disposent de services dédiés, les autres font le plus souvent appel à des prestataires spécialisés qui maîtrisent l’ensemble des données du problème.

Dans l’imaginaire collectif, l’expatrié lambda a moins de 40 ans, un master en poche et au moins dix ans d’expérience professionnelle. Ce profil type n’est pas obsolète, mais il a évolué ces vingt dernières années. Les besoins des entreprises, qu’elles soient du CAC 40 ou de plus petite taille, se sont calqués sur la situation économique mondiale et les profils des nouveaux salariés. Malgré ces changements, la durée des expatriations de Français à l’étranger pour des raisons professionnelles est restée stable. Les expat’ partent en moyenne pour trois années, renouvelables selon la situation. Pourtant, le profil et les conditions de départ ont grandement évolué depuis dix ans. La crise de 2008, son rebond en 2010, la modification du marché de l’emploi et de l’économie mondiale, ont transformé le visage de l’expatriation. “Le salariat local se développe depuis plusieurs années. L’expatriation suit l’économie mondiale et s’adapte aux nouveaux besoins des entreprises”, constate Jean Kramarz, directeur de la ligne de métier santé et du réseau médical international chez Axa Assistance.

Il y a deux décennies, l’expatriation des salariés se faisait davantage sur la base de leurs fonctions, sans soucis de leur nationalité, et dans des conditions financières souvent très avantageuses comparativement à celles d’un salarié resté dans l’Hexagone. “Ces dernières années, le tapis rouge qui se déroulait auparavant sous les pas de l’expatrié s’est beaucoup aminci. Il y a 20 ou 30 ans, le départ permettait de grimper dans la hiérarchie et d’avancer plus rapidement au sein de l’entreprise. Désormais les propositions sont moins alléchantes”, rapporte Thierry Schimpff, délégué général du Syndicat national des professionnels de la relocation et de la mobilité (SNPRM). Le coût – deux à trois fois supérieur au coût d’un salarié classique –, la mondialisation, et la flexibilité des jeunes salariés ont pesé dans la balance. La structure du marché de l’emploi s’est modifiée, ce qui permet aux entreprises d’expatrier différemment face à un contexte économique moins florissant.

La fin de l’expatriation classique ?
De là à dire que l’expatriation n’a plus d’avenir ? “Les entreprises tentent de faire baisser le coût d’une expatriation, mais dire que l’expatriation vit ses dernières années est une idée fausse”, estime Jorge Prieto Martin, président de RH Expat’. “L’expatriation ne concerne pas seulement les grandes entreprises. Une PME en pleine croissance expatriera d’une façon ou d’une autre pour pérenniser son développement”, estime pour sa part Jean Kramarz, chez Axa Assistance. Selon le ministère des Affaires étrangères, 1,643 million de Français résidaient hors de France au 31 décembre 2013, soit une hausse de 2 % par rapport à l’année 2012. Mais bien évidemment, tous ne bénéficient pas d’un contrat d’expatriation, et ces chiffres confirment la tendance vers une modification des profils. “Désormais, les missions sont moins renouvelées. Les jeunes s’expatrient d’eux-mêmes pour trouver du travail à l’étranger, puis contactent les entreprises françaises sur place”, explique Thierry Schimpff.

Quel que soit le profil du salarié expatrié, une chose est sûre : organiser son arrivée dans un pays étranger pour y travailler n’est pas la même chose que faire ses valises pour de longues vacances. Pour les salariés sous contrat de travail, l’enjeu est majeur et demande une vraie préparation. De nombreuses contraintes matérielles doivent être réglées avant le départ : ouverture de compte, fiscalité, santé, école des enfants, conditions de résidence du conjoint, mœurs. Pour accompagner cette transition, les entreprises françaises ont deux options. Elles peuvent faire appel à des sociétés spécialisées dans l’expatriation et la mobilité, ou bien, selon le secteur et le volume des procédures d’expatriation, intégrer en interne un service dédié. Industrie pétrolière ou automobile, nouvelles technologies, finance, ou commerce international, de nombreux secteurs sont concernés.

Protection sociale et fiscalité
Le contrat de travail s’impose comme le premier élément à clarifier avant le départ. Il précise le salaire, mais aussi les conditions de couverture sociale, les avantages en nature et, éventuellement, les frais payés par l’entreprise pour le salarié, allant de l’école des enfants à la voiture de fonction. Selon chaque pays, les régimes de protection sociale varient. Un salarié expatrié perd sa couverture santé, puisqu’il n’est en effet plus affilié à la Sécurité sociale française. “Ce volet est très important. Avant le départ, la forme du contrat déterminera l’affiliation au régime de santé. Dans le cas de l’expatriation, le salarié et ses proches perdent leurs droits. Ils ne vivent plus sur le sol français, ils ne sont donc plus affiliés à la Sécurité sociale. Cela implique des décisions et une gestion administrative spécifique”, explique Carine Drouin-Idé, consultante-formatrice en mobilité internationale. Il faudra ainsi choisir une assurance volontaire qui devra être payée par l’entreprise ou par le salarié.

À l’inverse, le départ n’implique pas de facto une disparition des radars du fisc. Rester en contact avec l’administration fiscale est recommandé, au salarié comme à son employeur, pour éviter toute difficulté pendant le séjour professionnel, mais aussi cacophonies et pertes de temps lors du retour en France. Plusieurs semaines avant le départ, l’entreprise et l’expatrié doivent ainsi signifier les conditions exactes de l’expatriation à l’administration fiscale. “Il faut se mettre en règle avant de partir et envisager les nouvelles obligations du salarié une fois sur place”, précise Carine Drouin-Idé.

En Europe, même si les déplacements semblent plus aisés, ces précautions sont nécessaires. Les systèmes fiscaux et de couverture de santé en Roumanie ou en Allemagne, par exemple, ne sont pas structurés sur le même principe que celui de la France. “Sur d’autres continents, ces questions peuvent devenir problématiques. Il faut absolument prévoir tout cela avant le départ et suivre régulièrement les modifications du droit ou des procédures”, estime Hélène Charveriat, déléguée générale de l’Union des Français de l’étranger. Pour ces questions bien précises, les prestataires de services ont développé des réseaux locaux, destinés à conseiller et orienter les expatriés une fois sur place. Reste ensuite à synchroniser les différentes démarches, et à faire en sorte qu’elles respectent le calendrier du départ.

Défis culturels et linguistiques, coaching serré
“Même si l’installation se fait de façon fluide, le choc de l’arrivée se produira tôt ou tard. C’est pourquoi la préparation doit se faire avant de prendre l’avion, et concerne bien plus la famille – conjoint et enfants – qu’on ne peut le penser à première vue”, précise Thierry Schimpff. À moins de trois mois du départ, la “todo list” du salarié entre dans sa phase la plus cruciale. Parfois sous-estimé, le volet linguistique et culturel ne peut pas être sous-traité de la même façon que la plupart des autres besoins de l’expat’. “Tant pour la famille que pour le salarié, la maîtrise de la langue, des mœurs et des codes de communication du pays d’expatriation est primordiale”, explique le délégué général du SNPRM.

Pour ce faire, plusieurs acteurs du marché de l’expatriation proposent même une offre de services destinée à préparer le salarié aux méthodes de management du pays d’accueil et aux spécificités culturelles locales. En quelques jours de formation, des experts font ainsi entrevoir aux conjoints et enfants ce qui les attend. “Lorsque nous interrogeons les expatriés que nous suivons, ils sont 90 % à nous confier que la langue est certes importante pour eux, mais que leur capacité à s’adapter à de nouveaux modes vie et codes sociaux les préoccupe tout autant”, rapporte Sidonie Lacome, cross-cultural project manager chez Berlitz Global Leadership Training.

D’autant que les destinations sont de plus en plus variées. Même si les États-Unis, la Chine et la Grande-Bretagne attirent toujours beaucoup de Français, d’autres pays ont le vent en poupe. L’Inde et le Brésil, mais aussi les pays du Moyen-Orient ou encore le Mexique sont plébiscités depuis quelques années. “Selon le pays où vous travaillez et la nationalité de vos interlocuteurs, vous n’animerez pas une réunion ou ne dirigerez pas une mission de la même façon. Un salarié averti, qui sait adapter son mode de communication à celui de ses collaborateurs d’autres nationalités, est un collaborateur efficace et opérationnel. Souvent, lorsque nous évoquons les dimensions de communication face aux diversités des profils, les futurs expatriés nous confient qu’ils n’y avaient tout simplement pas pensé avant de partir. Ils réalisent alors les défis qu’ils vont devoir relever dans le cadre de leurs nouvelles fonctions”, rapporte Sidonie Lacome.

Sur place, la sécurité accompagnée
Au bout de quelques jours, voire de quelques semaines, le salarié peut en effet se retrouver face à des problématiques nouvelles. La santé est une des plus préoccupantes lorsqu’elle survient. Pour ne pas laisser l’expat’ et sa famille livrés à eux-mêmes, les professionnels ont créé des réseaux destinés à les conseiller, où qu’ils soient. “Ce qui ne change pas par ailleurs, ce sont les besoins des salariés expatriés. La sécurité et la santé sont toujours des enjeux forts. La question des retraites est aussi devenue majeure. Elle nécessite pour les professionnels du secteur d’innover pour fournir la réponse adéquate pour chaque cas”, explique Jean Kramarz.

Car il n’y a pas de situation plus anxiogène que d’être submergé par des urgences matérielles lors de la prise de nouvelles fonctions. Les spécialistes l’ont bien compris et proposent depuis quelques années des offres de suivi par téléphone. Ils prodiguent ainsi des conseils à distance.

La sécurité se place elle aussi au sommet de la pyramide des craintes des salariés. Conscients de la réalité du terrain et face à des précédents complexes, les experts de la mobilité ont développé de vastes réseaux. De la quasi-totalité des pays du monde, ils reçoivent des informations en temps réel, afin de pouvoir, si la nécessité l’impose, protéger ou exfiltrer leurs clients. “Grâce à notre réseau, nous sommes informés de l’évolution d’événements qui ne franchissent pas la barrière des chaînes d’information. C’est pour nous un enjeu fort. Les informations que nos contacts nous fournissent nous permettent de donner des conseils et détails d’une grande précision à nos clients, et en peu de temps”, explique Jean Kramarz chez Axa Assistance.

Le come-back organisé
Une fois la mission réalisée, le temps du retour arrive plus vite qu’on ne le pense. Là aussi, les experts rappellent la complexité de ce moment. “L’expatrié bénéficie d’une aura et d’un style de vie très différents de celui qu’il a une fois de retour chez lui. Sa réadaptation est tout aussi importante que son départ”, estime Sidonie Lacome chez Berlitz Global Leadership Training. Longtemps laissée de côté par les spécialistes de l’expatriation, la réadaptation du salarié est désormais prise en charge de façon plus systématique. Un impératif, puisque les missions durent moins longtemps et exigent parfois à moyen terme un nouveau départ vers une nouvelle destination. “Le bien-être du salarié est devenu primordial dans la mesure où il participe au rayonnement de l’entreprise à l’étranger”, précise Sidonie Lacome.

Ainsi, même si les heures fastes de l’expatriation semblent passées, la mobilité des salariés n’a jamais été aussi nécessaire, voire stratégique dans certains secteurs. Le partage d’expérience, la transmission de savoir-faire et la mise en commun des talents sont des challenges plus que jamais d’actualité. PME ou multinationales le savent bien. Aux quatre coins du monde, elles mobilisent des talents, notamment dans des fonctions managériales sur les nouveaux marchés porteurs. Et si les contrats d’expatriation sont en perte de vitesse, les entreprises se tournent de plus en plus volontiers vers des contrats locaux ou des contrats de détachement pour assurer la désormais incontournable mobilité internationale de leurs ressources humaines stratégiques.

Préparation matérielle
Les sociétés de relocation sur le terrainPour conseiller et entamer les démarches concrètes avant l’arrivée du salarié dans son pays d’expatriation, les entreprises de relocation offrent une myriade de services. Implantées sur place, elles ont pour elles l’avantage du terrain. Quelle que soit la destination, elles ont un réseau de contacts et peuvent éviter bien des désagréments à ceux qui n’ont ni le temps, ni l’énergie de chercher par eux-mêmes une fois sur place. Le logement est l’une des priorités incompressibles.C’est pourquoi ces prestataires ont établi des réseaux à l’étranger et se sont attaché les services de sociétés partenaires habituées à réagir vite et bien, pour que la question du logement ne soit pas un casse-tête pour le salarié. “Le relogement des employés peut être difficile, voire complexe. Il ne faut pas sous-estimer l’ampleur de la tâche. Nous avons tendance à conseiller aux entreprises d’investir pour que ce volet soit réglé le mieux possible et ne se retrouve pas à la charge du salarié, après X ou Y rebondissements. C’est déjà difficile de se loger dans son propre pays, alors à l’étranger…”, constate Jorge Prieto Martin, président de RH Expat’.Il y va de même de l’installation de la famille, conjoint et/ou enfants. Les systèmes scolaires sont très différents d’un pays à l’autre, et leur coût varie énormément. Mais une fois encore, la bonne installation du salarié se concrétise aussi dès lors que ses proches s’acclimatent rapidement. Sur place, des professionnels se chargent ainsi de sélectionner les établissements scolaires et de préparer l’arrivée des enfants. De quoi éviter des sueurs froides aux parents, déjà très pris par le départ. Qu’il s’agisse d’ouvrir un compte en banque, de trouver un médecin de famille ou encore une nounou, les sociétés de relocation proposent toute une palette de services qui préserveront l’expatrié et sa famille de quelques tracas quotidiens et d’une importante perte de temps. Dans ces offres, la protection contre le crime et le terrorisme, ainsi que les situations extrêmes ou les catastrophes, est également envisageable. Tout est donc fait pour ne pas laisser les expatriés livrés à eux-mêmes une fois arrivée sur place.Enfin, les activités du conjoint dans le nouveau pays doivent être envisagées avant le départ. “La plupart des expatriations ratées le sont car le conjoint et ou les enfants n’ont pas réussi à s’intégrer, à se sentir bien, à trouver leur place”, explique Hélène Charveriat, délégué général de l’Union des Français de l’étranger. D’où l’importance de la préparation de l’ensemble des personnes déplacées avec le salarié. “Préparer le conjoint aux difficultés que va rencontrer l’expatrié, le prévenir de ce qu’il va rencontrer dans son quotidien, travailler en couple sur les problèmes qui pourraient se présenter pendant le séjour, sont autant de moyens de favoriser une bonne acclimatation de tous au plus vite”, analyse Sidonie Lacome, Cross-cultural project manager chez Berlitz Global Leadership Training.
Pays d’accueil

La wishlist des FrançaisAu moins 2 millions de Français vivent actuellement à l’étranger, et parmi eux une majorité d’expatriés salariés. Alors que les BRICS – Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud – ont le vent en poupe depuis 10 ans, la moitié des Français de l’étranger sont installés en Europe. Selon les chiffres publiés en décembre 2013 par l’Union des Français de l’étranger, 50,9 % vivent en Europe. L’Afrique accueille 14,6 % d’entre eux, talonnée par l’Amérique du Nord avec 12,7 %. Sous la barre des 10 %, le Proche-Orient, l’Asie et l’Amérique du Sud abritent respectivement 8,5 %, 7,3 % et 6 % des Français de l’étranger. “Le Moyen-Orient, le Brésil, la Chine et l’Inde ont clairement gagné des expatriés ces dernières années”, confirme Hélène Charveriat, délégué général de l’UFE.Quant à la qualité de vie, même si les villes d’Europe, Vienne et Zurick en tête, sont plébiscitées par les expatriés, l’Asie remporte de plus en plus d’adhésion. Les dernières études publiées par Mercer et HSBC s’accordent sur la montée de ce continent, Chine en tête. Même si les différences culturelles sont grandes entre la France et l’Asie et l’Amérique latine, les expatriés acceptent de relever le défi. “Une fois conscients des challenges, les expatriés se réjouissent de découvrir une culture totalement différente. Dans certaines zones du monde, le dépaysement est total et cela est loin de les effrayer”, explique Thierry Schimpff, délégué général du Syndicat national des professionnels de la relocation et de la mobilité. Certaines zones, telles que l’Amérique latine, restent néanmoins complexes. “Il est difficile d’aller en Amérique latine pour des raisons principalement administratives. Les législations et les conventions sociales sont très compliquées et peuvent rendre plus ardus le départ et la bonne installation du salarié et de sa famille”, explique Jorge Prieto Martin, président de RH Expat’.

Par Marie Varasson

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